La grande paix naturelle de l'espritInvité
: Sogyal Rinpoche
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Sogyal Rinpoche qui nous accueille aujourd'hui va aborder différents points fondamentaux, à la fois de la pratique et du bouddhisme tibétain, le vajrayana. Des points qui nous concernent tous puisqu'il sera question en effet de paix et de sérénité. Cette paix est nommée dans les enseignements "La grande paix naturelle de l'esprit". Comment l'obtenir et surtout l'intégrer, faire en sorte qu'ellle devienne naturelle et spontanée. VB - Vous êtes né au Tibet et dès l'âge de six mois, vous avez été reconnu comme la réincarnation d'un grand Mâitre tibétain et élevé en tant que "tulku". En 1981, vous avez fondé le Centre Rigpa à Paris et depuis dix ans environ ce centre où nous nous trouvons, Lerab Ling. Comment définir ce que l'on nomme paix dans les enseignements, est-ce un état profond, permanent, stable et qui ne dépend pas des conditions extérieures ? Sogyal Rinpoche - Il y a de nombreux niveaux de paix dans notre vie, par exemple quand nous sommes dans un bel environnement, dans un lieu tranquille, nous pouvons faire l'expérience de cette paix. Mais la paix profonde, "la grande paix naturelle" dont parlent les enseignements, est directement reliée à l'éveil de notre véritable nature. Au moment de son Eveil, le Bouddha a déclaré : "Profonde paix, libre de complexité, simplicité naturelle, luminosité non composée". Certains grands maîtres comme Dudjom Rinpoche et Dilgo Khyentse Rinpoche rayonnent de cette paix qui vient de la réalisation de la nature essentielle de leur esprit. Et cette paix est en chacun de nous. Le Bouddha a dit : "Qui que nous soyions, nous avons cette nature de Bouddha en tant que notre essence la plus fondamentale". Cependant elle est temporairement obscurcie et c'est par la pratique de la contemplation que nous pourrons graduellement et lentement diluer ces obscurcissements et dévoiler ainsi notre nature véritable.
VB - Afin de dévoiler notre nature véritable, vous vous appuyez également sur une autre phrase du Bouddha lorsque vous enseignez. Celle-ci commence par : "Ne commettre aucune action négative" et se conclut par : "Ceci est l'enseignement de tous les Bouddhas". Pouvez-vous développer cette phrase, Rinpoche ? Nous reprendrons ensuite chacun des éléments qu'elle contient.
Sogyal Rinpoche - Je voudrais simplement ajouter un point à ce que j'ai dit précédemment. Il y a la paix temporaire et il y a la paix profonde et immuable. La paix temporaire c'est celle dont nous faisons l'expérience lorsque nous arrivons dans un environnement naturel, par exemple. Mais la paix profonde et immuable, c'est celle que nous pouvons obtenir par l'entraînement de l'esprit, quand à travers elle nous arrivons à l'éveil de notre nature véritable.
L'enseignement du Bouddha est vaste et profond. Du point de vue de son aspect vaste, la seule parole du Bouddha contient 100 volumes et les commentaires des grands maîtres indiens font plus de 200 volumes. Sans parler des commentaires des grands maître tibétains. Mais en même temps l'enseignement du Bouddha peut être synthétisé, on peut en donner l'essentiel. Dilgo Khyentse Rinpoche disait : "Il y a l'approche vaste des pandits et l'approche profonde des yogis. Mais quand on a demandé au Bouddha de donner l'essentiel de son enseignement, il a dit : Ne commettez aucune action négative. Cultivez un trésor de vertus. Domptez cet esprit qui est le nôtre. Ceci est l'enseignement du Bouddha".
Le premier point est lié à "abandonner le mal". C'est abandonner les actions négatives ou malsaines, liées aux émotions négatives, qui sont la cause de toute la souffrance pour nous-mêmes et pour le monde.
La deuxième phrase est plutôt liée à l'adoption des actions positives qui seront la cause du bonheur pour nous-mêmes et pour le monde. Ces deux premières phrases forment tout simplement le fondement de l'éthique bouddhiste. Car quand vous faites du mal, vous ne faites pas seulement du mal aux autres, mais bien plus à vous-même. Et quand vous aidez les autres, c'est vous-même que vous aidez également.
Finalement, la troisième phrase : "Domptez cet esprit qui est le nôtre". Beaucoup de maîtres disent que c'est la plus importante et qu'elle capte l'essence de l'enseignement. Car comme l'a dit le Bouddha : "Nous sommes ce que nous pensons. Tout ce que nous pensons s'élève de nos pensées. Avec nos pensées, nous créons le monde. Parlez et agissez avec un esprit pur et le bonheur s'ensuivra. Parlez et agissez avec un esprit impur et la souffrance s'ensuivra". Puisque l'esprit est le principe universel qui ordonne tout, qui est-ce qui aide en fait ? C'est l'esprit. Qui est-ce qui fait du mal en fait ? C'est l'esprit. C'est l'esprit qui est aux commandes de tout. Donc, si vous entraînez l'esprit, naturellement le corps et la parole deviendront eux-mêmes sains.
VB - Une précision Rinpoche, comment définir l'esprit dans le bouddhisme de manière à comprendre pourquoi il faut le dompter, le maîtriser, l'entraîner ?
Sogyal Rinpoche - Le bouddhisme a en fait un vocabulaire très riche pour définir l'esprit. Il y a tout d'abord l'esprit ordinaire, confus, superficiel, celui semblable aux nuages et qui est le siège de la turbulence des pensées, des émotions. Et au delà, en-dessous, il y la nature de l'esprit semblable au ciel et immuable. Par la méditation on peut dissiper cette couche de pensées et d'émotions semblables aux nuages pour dévoiler le clair ciel de la nature de l'esprit. Et par la pratique de la contemplation, d'entraînement de l'esprit, on peut éliminer progressivement les habitudes. Comme vous le savez les habitudes sont très fortes et elles ne pourront donc être éliminées que par un entraînement continuel. Par leur élimination, on arrive à la paix de l'esprit véritable. Il y a ces deux termes en tibétain pour décrire l'esprit. Le premier est SEM qui désigne l'esprit ordinaire, confus. Et le deuxième est RIGPA, qui désigne notre nature profonde et pure qui est au-delà.
VB - Est-ce que l'esprit qui nous fait souffrir, qui provoque toutes ces souffrances, toutes nos pensées, nos malheurs, est-ce que cet esprit est le même que celui qui provoque la paix véritable ?
Sogyal Rinpoche - L'esprit est comme un cristal. Si vous mettez sous le cristal un tissu de couleur verte, il devient vert, et si vous mettez du jaune, il devient jaune. En fait, l'esprit, quelque soit la chose à laquelle il est occupé, devient cette chose. Mais l'esprit en lui-même est clair, spacieux, vide. Le Bouddha a dit : "Nous sommes ce que nous pensons", donc l'esprit est en fait tout ce dont nous lui permettons de s'occuper. A cause du conditionnement malheureusement, l'esprit est infesté d'émotions négatives. Il en résulte la souffrance, mais la nature de l'esprit en elle-même ne change jamais. Un très bon exemple est celui du projecteur de cinéma. Tous les organes des sens, le fonctionnement des sens, sont comparés au mécanisme du projecteur. L'écran représente les phénomènes. Et les plans qui se succèdent, qui donnent l'illusion d'une continuité, sont semblables au sol vacillant de l'esprit. Mais en fait pour que le cinéma se produise, il y a l'ampoule. Sans ampoule, pas de cinéma. La lumière de l'ampoule est utilisée pour le cinéma mais elle-même n'est jamais impliquée dans le cinéma. Elle reste toujours pure. De même la nature de l'esprit n'est jamais souillée. C'est comme le miroir également : le miroir reflète toute sorte de choses mais il est toujours pur et immaculé quoi qu'il reflète. En même temps les reflets semblent apparaître, et de la même façon, tout ce qui occupe l'esprit apparaît. C'est donc le même esprit qui peut être souillé et confus à un certain moment. Mais quand on purifie et qu'on élimine cette confusion et ces obscurcissements, c'est "l'esprit immuable de claire lumière".
VB - Pouvez-vous expliquer les grands principes de la méditation qui peuvent aider à la fois les bouddhistes et les non bouddhistes, puisque cette émission s'adresse à un large public ?
Sogyal Rinpoche - En fait, ce principe de méditation que l'on trouve dans le bouddhisme peut être utilisé par tout le monde. La première pratique sur le chemin bouddhiste de la méditation est appelée shamata, en tibétain shine, qui veut dire le repos calme, la méditation de la tranquillité. Nous commençons donc par une pratique de l'attention. Cette pratique de shamata peut être avec objet ou support, ou sans objet. Parfois, nous utilisons l'image du Bouddha comme objet ou bien comme nous le trouvons dans toutes les écoles du bouddhisme, très légèrement et attentivement, nous observons la respiration. Mais ici, il est important de ne pas se fixer, il est dit que vous devriez être attentif, conscient mais en même temps très spacieux, très détendu, pour ne rien imposer à l'esprit. Initialement bien sûr on peut être conscient de soi, pensant que quand on respire, il y a la respiration, celui qui respire et l'acte de respirer qui sont trois choses séparées. Mais quand progressivement nous perfectionnons la pratique et que notre esprit se dépose, et bien le souffle, la respiration et l'acte de respirer deviennent finalement un et c'est comme si vous étiez devenu la respiration.
VB - Autre problème important, notamment en France, où nous avons le triste record du taux de suicide en Europe. Souvent les maîtres tibétains ne comprennent pas que l'on puisse en arriver à une telle extrémité, ne serait-ce que penser à faire cet acte, cette action. La méditation est-elle un moyen pour aider les gens qui se trouvent dans ce contexte, à dépasser les problèmes et à comprendre comment ils fonctionnent ?
Sogyal Rinpoche - Certes la méditation peut aider mais ce dont nous avons besoin c'est surtout d'une éducation spirituelle qui nous informe, qui nous montre qui nous sommes. Dans les enseignements on parle des trois outils de sagesse. La sagesse de l'écoute et de l'entente, la sagesse de la réflexion et de la contemplation, et la sagesse de l'application et de la méditation. Par ces trois outils de sagesse, graduellement, nous pouvons découvrir qui nous sommes vraiment et cela nous donne le sens et le but de la vie… et quand nous découvrons cela, même si de grosses difficultés se présentent, nous n'abandonnerons pas si facilement, car nous voyons le but que nous pouvons accomplir et nous réalisons que la dépression par exemple n'est que temporaire. Par contre quand les gens n'ont pas cette perspective et ne savent pas, et bien ils peuvent quand ils souffrent beaucoup vouloir mettre un terme à la souffrance immédiatement, ce qui n'est pas nécessairement la solution.
VB - Rinpoche, vous parliez tout à l'heure de l'instant présent, vivre de manière juste dans l'instant présent.
Sogyal Rinpoche - Bien sûr, il est important d'être dans le présent, d'être dans la vie, d'être en prise avec la réalité. Mais il y a un danger ici, c'est que parfois on peut être comme dans un cocon dans le présent et complètement inconscient du passé et du futur. A ce moment là on ne respecte pas les lois de la cause et des effets des actions. Pourtant le Bouddha l'a dit : "Ce que nous sommes c'est ce que nous avons été et c'est ce que nous serons". D'où l'importance de l'attention à ce que nous faisons maintenant, de la conscience, d'une vie plus attentive. C'est par la méditation qu'on peut les développer. On peut transformer notre vie afin d'être attentif et conscient et à ce moment là, cela sera véritablement ce dont il s'agit quand on parle de "vivre dans le présent".
VB - En conclusion, comme il est souvent difficile pour un
grand public de se souvenir de tous les points, pouvez-vous récapituler
les points importants pour parvenir à cette paix, cette grande
paix naturelle ? Sogyal Rinpoche - Il y a une parole de l'un de mes maîtres, un poème qui dit : "Demeurez dans la grande paix
naturelle, Je trouve ce poème plein d'espérance. De même que l'eau non agitée devient claire, de la même façon l'esprit inaltéré, non manipulé et laissé dans son état naturel, trouve sa paix et son bien-être. |
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